mercredi 19 juillet 2017

Pause dans le blog avec « La mémoire et Marcel Proust » (première partie).


C'est incroyable, ce que peut provoquer une simple madeleine.



L’étude de la mémoire de Marcel Proust est complètement différente de celle de la mnémotechnie, elle est basée sur la sensation et le souvenir. L’auteur ne parvient pas à se remémorer avec précision sa vie d’enfant mais c’est en mangeant une madeleine dans une tasse de thé (sens gustatif et olfactif), que sa mère lui propose, qu’il se souvient tout à coup de pans entiers de son passé et plus particulièrement de sa tante Léonie, qui a été la première personne à lui proposer ce curieux mélange de thé et de gâteau, quand il était enfant. Ses relations avec cette tante Léonie sont remarquablement décrites dans le Dictionnaire amoureux de Marcel Proust de Jean-Paul et Raphaël Enthoven dont je vais m’inspirer pour cet article.

Les deux auteurs parlent ainsi de tante Léonie :

« Pourquoi les souvenirs d'enfance du Narrateur font-ils une telle place à tante Léonie ? Pourquoi se passionne-t-il pour l'agonie, les discussions et les soliloques d'une personne qu'il n'aime pas particulièrement (tante Léonie n’est pas sa grand-mère, et la perspective de sa mort ne le touche pas autrement que comme l'ultime bizarrerie d'un personnage qu'il se contente de respecter sans effort) ?
Sans doute, parce que cette dame si pieuse, cette maniaque « toute confite en dévotion » avec qui il aurait juré n'avoir aucun point commun est aussi, d'abord, et même avant Bergotte, le premier écrivain qui croise la vie du jeune Marcel. Et il n'est pas absurde, à cet égard, de comparer tante Léonie à Marcel Proust lui-même dont l'oblomovisme (ou la vie de reclus recouvert de bouillottes et de pelisses) ressemble d'assez près à l'existence monotone de la vieille bigote.

Le fait est que tante Léonie, que tout effraie, qui ne sort pas de chez elle parce que la peur (plus que la maladie) la rive à la « pure matière » de son lit, la seule personne de la famille qui n'eût pu encore comprendre que lire, c'était autre chose que de passer son temps à « s'amuser », enseigne au Narrateur les rudiments de son art.

Car tante Léonie, tout à l'ennui qui la comble, transforme en événements, sans y assister, les péripéties minuscules de  son voisinage. C'est elle, ainsi, qui, des années avant Elstir, lui apprend à contempler une botte d’asperges avec le même intérêt que le plafond de la Sixtine ; elle qui lui donne le goût de deviner le temps qu'il fait sans quitter son lit (ni même ouvrir les yeux) ; elle dont le monologue perpétuel face au portrait de son mari invite son petit-neveu à rendre la vie aux fantômes par une addition de sang ; elle enfin dont l'inertie absolue détermine l'importance extraordinaire qu'un écrivain accorde à ses moindres sensations... Pas de doute, « madame Octave » (comme l'appelle Françoise) connaît la musique. Comment s’étonner dès lors, que la saveur d’une petite Madeleine (c’est-à-dire le premier temps de la mémoire involontaire) expédie illico le Narrateur dans la chambre de la grabataire ? »


Voilà. C’est tout pour le moment. Amitiés à tous.