jeudi 1 juin 2017

Compte rendu de « Clavis universalis, arts de la mémoire, logique combinatoire et langue universelle de Lulle à Leibniz » de Paolo Rossi (première partie).




La signature de Paolo Rossi, un nouvel  intérêt pour la mémoire.


Le premier à avoir remis à l’honneur l’art de la mémoire, ce que j’appelle, moi, la mnémotechnie, qui était très, très oublié par l’Université (ne tenez pas compte du jeu de mots pour lire cette phrase !) est un philosophe italien, spécialiste de la Renaissance, Paolo Rossi, et cela bien avant Yates, Carruthers ou Bolzoni. Son livre s'appelle Clavis universalis, arts de la mémoire, logique combinatoire et langue universelle de Lulle à Leibniz.

Le chapitre 2 porte sur encyclopédisme et combinatoire au XVIe siècle.

LA RENAISSANCE DU LULLISME

Au cours du XVIe siècle se produisent, dans le domaine culturel qui nous intéresse ici, deux phénomènes importants. Le premier, c'est la diffusion en Angleterre, en Allemagne, en France, de cet art de la mémoire locale qui avait connu, à la fin du XVe siècle, son développement le plus organisé et le plus complet, dans l'œuvre de Pierre de Ravenne. Le second, le contact qui fut établi entre la tradition remontant à Cicéron, à Quintilien, à la Rhetorica ad Herennium, à saint Thomas, et celle de la logica combinatoria qui aboutit aux ouvrages de Raymond Lulle. Entre le milieu du XVe siècle et celui du XVIe, Nicolas de Cues, Bessarion, Pic de la Mirandole, Lefèvre d'Etaples, Bouelles, puis Lavinheta, Agrippa et Bruno contribuent à répandre les ouvrages de Lulle, l'intérêt pour l'Ars magna et la passion pour la combinatoria dans la culture européenne. La signification de leur adhésion à des thèmes qui sont complètement étrangers à un esprit post-cartésien et post-galiléen, a échappé autant aux commentateurs qui ont vu dans l'Ars magna une espèce d'abrégé «préhistorique» de logique symbolique, qu'à ceux qui ont préféré se débarrasser, avec une ironie facile, des «étrangetés» de bon nombre de représentants les plus significatifs de cette époque importante de la culture occidentale.

L'intérêt pour la cabale, les écritures hiéroglyphiques, les écritures artificielles et universelles, la découverte des premiers principes constituant tout savoir possible, l'art de la mémoire et l'allusion continuelle à une logique comprise comme une «clé» permettant de percer les secrets de la réalité : tous ces thèmes apparaissent comme liés à la résurrection du lullisme à la Renaissance et forment, pour ceux qui affrontent directement les textes des XVIe et XVIIe siècles, d'Agrippa à Fludd, de Gassendi à Henry More, une sorte d'enchevêtrement inextricable dont il n'est pas permis de se débarrasser en recourant à la mystérieuse entité : le «platonisme».

En réalité, un grand nombre de thèmes parmi ceux qui forment cet enchevêtrement, sont même loin d'avoir peu d'effets et qui soient négligeables sur une série de problèmes traditionnellement considérés comme du ressort de la philosophie et de la science : la théorie baconienne des signes, des images et du langage ; la discussion baconienne et cartésienne sur l'arbre des sciences et sur les facultés; les polémiques sur la signification de la dialectique et sur ses rapports avec la rhétorique ; celles qui concernent les topiques et le problème de la logique ; enfin, les développements même de philosophie naturelle qui font appel à la structure logique de la réalité matérielle, à l'alphabet de la nature ou aux caractères gravés par la Divinité dans le monde.

Nous n'avons pas ici la prétention d'épuiser tous ces problèmes : nous disons cependant que pour mieux comprendre quelques-unes des questions évoquées, il peut être utile d'examiner la diffusion au XVIe siècle du lullisme et ses rapports avec la tradition autrefois florissante de l'art de la mémoire.


Voilà. C’est tout pour aujourd’hui. Amitiés à tous.