jeudi 3 novembre 2016

Compte rendu de « Vouloir sa vie, la Gestalt-thérapie aujourd’hui » de Gonzaque Masquelier, troisième partie.



Un des séminaires de Fritz Perls


J’ai déjà évoqué dans ce blog deux types de méthodes psychologiques récentes, les thérapies comportementales et cognitives et la programmation neuro linguistique. Je vais aborder à présent une des méthodes les plus actuelles, la Gestalt-thérapie, à travers le livre de Gonzague Masquelier, Vouloir sa vie, la Gestalt-thérapie aujourd’hui. Je commencerai en donnant un aperçu de la vie de Fritz Perls qui en est le premier créateur (voir pour le début de cette biographie, l’article précédent).

A la fin des années 60, le mouvement hippie amorcé par le « ras-le-bol » des étudiants californiens, lassés de « l’American way of life » se généralise. A quoi bon amasser des richesses, si l'on n'est pas heureux ? La poursuite éperdue de l'avoir, et de l'avoir plus, fait place à une quête de l'être, et de l'être mieux : on recherche la qualité de vie. 

Le magazine Life présente les idées de Fritz Perls, sa recherche d'une vie authentique, dans le contact direct d'homme à homme, sans artifice. Ses séminaires connaissent alors un engouement soudain : des centaines de personnes se pressent chaque jour pour l’écouter et avoir le privilège de « travailler » avec lui quelques minutes. Il inaugure de nouvelles techniques spectaculaires de dialogue public avec soi-même : le « client » monte sur scène, s'assoit sur le « hot seat » (en argot, cette expression désigne la chaise électrique du condamné à mort ! ), face à une chaise vide et interpelle ses proches ou plutôt l'image intérieure qu'il a construite d'eux. Fritz Perls observe le ton de la voix, la posture, la direction du regard, le processus de l'échange imaginaire, beaucoup plus que le contenu du discours. C’est précisément cette attitude qui va influencer le travail de la PNL : observer sans évaluer, s’intéresser à la structure de la communication et de l’expérience interne.

Se parlant à lui-même, ou interagissant avec le thérapeute, le client prend conscience des aspects de sa personnalité restés dans l'ombre, ou dissimulés sous des introjections (la PNL retiendra surtout la notion de généralisation, base des croyances).

Ses séminaires sont enregistrés en vidéo et l'un d'entre eux est publié en 1969, sous le titre « Gestalt Therapy Verbatim » (traduit en français sous le titre : Rêves et existence en Gestalt-thérapie). De nombreux spécialistes arrivent des quatre coins du monde pour voir le génial thérapeute à l'œuvre, pratiquer avec lui et s'inspirer ensuite de ses idées. Parmi les plus connus figurent Gregory Bateson (fondateur de l'Ecole de Palo Alto), Alexandre Lowen (fondateur de l'analyse bioénergétique), Eric Berne (créateur de l'analyse transactionnelle), John Lilly (inventeur du « caisson d'isolation sensorielle »), Stanislav Grof (expérimentateur du LSD, créateur de la « respiration holotropique » et fondateur de la psychothérapie transpersonnelle), et bien entendu John Grinder et Richard Bandler co-fondateurs de la Programmation Neuro Linguistique, ou PNL. 

Fritz Perls décide alors de fonder une communauté, un « kibboutz »,  où l'on puisse « vivre la Gestalt 24 heures sur 24 ». Après être passé de la Gestalt individuelle à la Gestalt en groupe, il passe de la Gestalt en groupe à la Gestalt dans la vie quotidienne. Il achète un vieux motel de pêcheurs sur l'île de Vancouver, au bord de la côte ouest du Canada et s'y installe avec quelques fidèles disciples. Tout le monde partage son temps entre psychothérapie, formation et travail collectif. Fritz Perls se dit « enfin heureux et comblé ».

Mais son bonheur est de courte durée : l'hiver suivant, au retour d'un dernier voyage en Europe, il meurt en mars 1970, d'une crise cardiaque, terminant ainsi un long parcours, totalement atypique. L’itinéraire mouvementé de Fritz Perls et l’originalité de son approche lui ont permis de développer des techniques innovantes, spectaculaires et d’une redoutable efficacité.

Voilà. C’est tout pour le moment. La suite au prochain numéro. Amitiés à tous.

Compte rendu de « Vouloir sa vie, la Gestalt-thérapie aujourd’hui » de Gonzaque Masquelier, deuxième partie.




Paul Goodman

 
J’ai déjà évoqué dans ce blog deux types de méthodes psychologiques récentes, les thérapies comportementales et  cognitives et la programmation neuro linguistique. Je vais aborder à présent une des méthodes les plus actuelles, la Gestalt-thérapie, à travers le livre de Gonzague Masquelier, Vouloir sa vie, la Gestalt-thérapie aujourd’hui. Je commencerai en donnant un aperçu de la vie de Fritz Perls qui en est le premier créateur (voir pour le début de cette biographie, l’article précédent)

En 1934, à 41 ans, Fritz Perls fuit l'Allemagne nazie et s'installe en Afrique du Sud, où il fonde l'Institut sud-africain de psychanalyse. Sa pratique demeure alors traditionnelle : 5 séances par semaine, de 50 minutes chacune, sans aucun contact avec les clients. Il dira plus tard qu'il était devenu « un cadavre calculateur, comme la plupart des psychanalystes de l'époque ». Il s'y constitue une clientèle importante et devient rapidement célèbre et riche : il s'installe dans une résidence somptueuse, avec tennis, piscine privée et… piste de patinage sur glace ! Il pilote son avion et mène avec son épouse une vie bourgeoise très mondaine.

Deux ans plus tard, ce sera la grande rupture : Fritz Perls se rend au Congrès international de psychanalyse, à Prague, et y présente une communication sur les résistances orales. Il y soutient que l'instinct de faim est aussi central que l'instinct sexuel et que l'agressivité est un comportement positif de survie apparaissant dès les premières dents. L'accueil de ses collègues est glacial. Freud  lui adresse tout juste quelques mots et Reich le reconnaît à peine alors qu'il l'avait reçu en analyse tous les jours pendant deux ans ! Perls est profondément offensé et il en conservera toute sa vie une animosité envers ses anciens maîtres.

De retour en Afrique du Sud, Fritz Perls rédige son premier livre Le Moi, la Faim et l'Agressivité, publié en 1942. La première édition est sous-titrée « Une révision de la théorie de Freud »… Ce dernier, comme on sait, supportait mal les critiques ! On y voit se dessiner déjà ce qui, après neuf ans de gestation, deviendra la Gestalt-thérapie : l'importance du moment présent, la place du corps, le contact direct, la valorisation des sentiments, l'approche globale, le développement de la responsabilité du patient, etc.

Après la Deuxième Guerre mondiale, en 1946, Perls décide de tout quitter : sa famille, sa situation confortable, sa clientèle fortunée, et, à 53 ans, tente l'aventure américaine. Il ouvre son cabinet à New York, et se constitue bientôt une nouvelle clientèle. Bien qu’il soit « déviant » en regard de l’orthodoxie, il utilise encore le divan traditionnel et se cantonne à un travail verbal. 

Cinq ans plus tard, il débute officiellement dans la pratique de sa nouvelle méthode : la Gestalt-thérapie, après avoir exercé pendant 23 ans comme psychanalyste, il est alors âgé de 58 ans.

A New York, il mène une vie de bohème, parmi les « intellectuels de gauche » : écrivains et hommes de théâtre de la « nouvelle vague ». Il fréquente le Living Theater, qui prône l'expression immédiate du ressenti, ici et maintenant, à travers le contact direct et spontané avec le public, l'improvisation, et non l'apprentissage traditionnel de rôles par répétitions.

Sa femme l'a rejoint, et tous les mercredis soirs , le « Groupe des Sept » se réunit chez eux, il comprend notamment, Paul Goodman (un écrivain polémiste qui mettra en forme les manuscrits de Perls), Isadore From (un philosophe phénoménologue qui fera connaître la Théorie du self ), Paul Weisz (qui initie Perls au Zen), etc.

Le livre, baptisé Gestalt Therapy, rédigé pour l'essentiel par Paul Goodman à partir de notes manuscrites remises par Perls est publié en 1951 ( en français Gestalt-thérapie ). Le texte est abscons et ne remporte que peu de succès : à peine quelques centaines d'exemplaires seront vendus.

A partir de 1952, Fritz Perls, sa femme, Paul Goodman et Isadore From commencent à enseigner la Gestalt à New York et à Cleveland. Le succès demeure limité, les étudiants encore peu nombreux ; Fritz Perls, pour tenter de faire connaître son approche dans toute l'Amérique, donne de nombreuses conférences du Canada à la Californie et jusqu’à la Floride.

En 1956, Fritz Perls, découragé et fatigué de « prêcher dans le désert », s'éloigne de sa femme Laura. Il est cardiaque (il fume trois paquets de cigarettes par jour). Il a 63 ans, considère sa vie comme « achevée dans l'indifférence générale et l'incompréhension » et décide de prendre sa retraite à Miami, au soleil de Floride. Il loue un petit appartement où il vit seul, sombre et replié sur lui-même. Il reçoit quelques rares clients en thérapie, mais il n'a plus aucun ami. Il évite toute activité sexuelle, par crainte d'une crise cardiaque…

Un « miracle » se produit pourtant ! Marty, une jeune femme de 32 ans tombe amoureuse de lui. L'amour réveille l'énergie défaillante de l'homme vieillissant, et il vit alors deux années d’une intense passion et de bonheur tardif… jusqu'à ce que Marty le quitte pour un amant plus jeune ! 

Fritz reprend alors une vie d'errance, il anime des conférences et démonstrations de ville en ville. Âgé de 70 ans, il entreprend un tour du monde de dix-huit mois et séjourne notamment dans un petit village de jeunes artistes « beatniks » en Israël. Il est fasciné par leur mode de vie libertaire et confiant, et se remet lui-même à la peinture. Puis il se rend au Japon et s'installe pour quelques mois dans un monastère zen… mais sans y rencontrer l'illumination espérée. En avril 64, Fritz Perls s'établit à Esalen, au sud de San Francisco, dans une propriété devenue depuis célèbre, et baptisée « La Mecque de la psychologie humaniste ». De jeunes Américains, passionnés de psychologie et d'orientalisme, y animent un Centre de Développement du Potentiel humain où ils invitent d'éminents conférenciers pour animer séminaires et stages. 

Fritz Perls y organise quelques sessions de Gestalt et multiplie les démonstrations. Mais son heure de gloire n'est pas encore venue et ses stages n'attirent que 4 ou 5 participants dans le meilleur des cas !

Voilà. C’est tout pour le moment. La suite au prochain numéro. Amitiés à tous.

Compte rendu de « Vouloir sa vie, la Gestalt-thérapie aujourd’hui » de Gonzaque Masquelier, première partie.




Fritz Perls


J’ai déjà évoqué dans ce blog deux types de méthodes psychologiques récentes, les thérapies comportementales et cognitives et la programmation neuro linguistique. Je vais aborder à présent une des méthodes les plus actuelles, la Gestalt-thérapie, à travers le livre de Gonzague Masquelier, Vouloir sa vie, la Gestalt-thérapie aujourd'hui. Je commencerai en donnant un aperçu de la vie de Fritz Perls qui en est le premier créateur. 

Friedrich Salomon Perls (qui adopta plus tard le surnom de Fritz) naît en 1893, dans un obscur quartier du ghetto juif de Berlin. Sa vie apparaît comme une longue suite d’événements contrastés, il connaît tour à tour les succès et les traversées du désert, mais ce n’est qu’à l’âge de 75 ans qu’il acquiert enfin une renommée internationale.

Maltraité et méprisé par son père, il conçoit très tôt de la haine à son égard. Tout au long de sa vie, Fritz  se rebelle contre les images représentant l’autorité (dont Freud) et milite dans des mouvements anarchistes. Sa mère était une juive pratiquante, passionnée de théâtre et d'opéra (comme Fritz le restera toute sa vie). Elle se disputait très souvent avec son mari, et les échanges de coups n'étaient pas rares.

A l'âge de 10 ans, Fritz entre ouvertement en rébellion: il refuse le travail scolaire, falsifie ses carnets de notes, et se fait exclure de l’école à 13 ans. Son père le place donc en apprentissage, mais il refuse cette situation et s'inscrit dans une école privée où il reprend ses études, tout en se consacrant au théâtre expressionniste qui prône l'engagement total de l'acteur dans son rôle. Plus tard, à New York, il fréquentera le Living Theater. La Gestalt lui permettra de développer son goût pour le jeu théâtral, ainsi que pour l'implication profonde des acteurs.

Ses études sont interrompues par la Grande Guerre, il est blessé au front dans les tranchées. Après la guerre, il termine son doctorat de médecine, à 27 ans, et se spécialise en neuropsychiatrie.

A 33 ans, il entame sa première psychanalyse, avec Karen Horney qui continuera à le soutenir tout au long de sa vie et l'accueillera, vingt ans plus tard, à New York. Parallèlement, il trouve un poste de médecin assistant chez Kurt Goldstein. Ce dernier poursuit des recherches sur les troubles de la perception chez les blessés du cerveau, à partir des travaux de la Gestalt Psychologie. Fritz Perls rencontre alors sa future femme Laura, qui deviendra à son tour psychanalyste et participera activement à l'élaboration de leur nouvelle méthode.

Fritz Perls entreprend ensuite une série de psychanalyses, parfois des plus classiques comme celle avec Eugen Harnik qui, selon la pratique la plus orthodoxe, lui interdit toute prise de décision importante pendant la durée de la cure. Aussi, lorsque Fritz Perls décide de se marier, il doit interrompre son analyse et « échange avec joie le divan psychanalytique contre le lit conjugal ». Il est alors âgé de 36 ans, et Laura de 24.

Il fait sa quatrième analyse avec Wilhelm Reich, un futur dissident de Freud, précurseur de la bio-énergie. Reich pratiquait une technique active, n'hésitant pas à toucher le corps de ses patients pour les aider à prendre conscience de leurs tensions. Il aborde très directement la sexualité ainsi que l'agressivité, et il milite politiquement pour un marxisme très libéral, qui le fait d'ailleurs expulser du parti communiste. Il sera bientôt exclu aussi de la Société psychanalytique internationale pour ses pratiques trop « engagées ». Fritz Perls, qui trouve alors un alter ego en la personne de Reich, intègrera par la suite, plusieurs principes reichiens dans la Gestalt.

Voilà. C’est tout pour le moment. La suite au prochain numéro. Amitiés à tous.

« Vie de Marcel Proust » dans « Atteindre l’excellence » de Robert Greene, chapitre 6, deuxième partie.




Robert de Montesquiou


Je n’ai jamais vu de description de l’existence de Marcel Proust aussi exacte et aussi parlante que celle de Robert Greene dans son livre Atteindre l’excellence.

Dans l’école qu’il fréquentait à Paris, Marcel Proust frappait ses camarades par sa bizarrerie. Il avait tant lu que sa tête bouillonnait de toutes sortes d’idées ; il pouvait parler dans la même conversation d’histoire, de littérature et de l’organisation sociale des hyménoptères. Il mélangeait le passé et le présent, parlait d’un auteur romain comme s’il était vivant et décrivait tel ou tel de leurs amis comme un personnage historique. Il avait de grands yeux, qu’un ami compara plus tard à ceux d’une mouche ; son regard transperçait son interlocuteur. Dans ses lettres à ses amis, il disséquait leurs émotions et leurs problèmes avec une telle précision que c’en était agaçant ; puis il tournait son attention sur lui-même, avouant sans pitié ses propres faiblesses. Malgré son goût pour la solitude, il était étonnamment sociable et faisait preuve d’un charme immense. Il pouvait flatter et s’attirer les bonnes grâces des gens. Nul ne savait comment cet excentrique allait évoluer.

En 1888, Marcel Proust rencontra une courtisane de 37 ans, Laure Hayman, qui était l’une des nombreuses maîtresses de son oncle. Il en tomba éperdument amoureux. Elle ressemblait à un personnage de roman ; ses toilettes, ses façons coquettes et son pouvoir sur les hommes fascinaient Proust. Il la séduisit grâce à son esprit et à ses bonnes manières : ils devinrent amis. La tradition française des salons était très vivante à l’époque ; on y parlait littérature et philosophie. Ces salons étaient en général tenus par des femmes et, en fonction de leur niveau social, ils attiraient des artistes majeurs, des penseurs et des personnalités politiques. Laure Hayman avait elle-même un salon de mauvaise réputation, fréquenté par des artistes bohèmes, des acteurs et des actrices. Marcel Proust s’y montra de façon assidue.

Il se passionnait pour la vie mondaine des couches supérieures de la société. C’était un monde riche en subtilités : selon les invitations que l’on recevait aux bals ou la place que l’on vous donnait à table, on savait si on était sur le chemin du succès ou du déclin. Telle façon de s’habiller, tel geste ou telle phrase donnaient lieu à toutes sortes de critiques ou de jugements. Il souhaita explorer ce domaine et en apprendre toute la complexité. L’attention qu’il avait apportée à l’étude de l’histoire et de la littérature, il l’appliqua à la haute société. Il s’introduisit dans d’autres salons et se mit à frayer avec les grands aristocrates.

Toujours décidé à devenir écrivain, Proust n’avait pas encore été capable de déterminer sur quel thème il écrirait ; et cela le tourmentait. Mais la réponse finit par lui venir : la bonne société serait la fourmilière qu’il analyserait avec l’acharnement glacé d’un entomologiste. A cet effet, il se mit à réunir les personnages de ses romans. L’un d’eux était le comte Robert de Montesquiou, poète et esthète décadent qui avait un faible pour les beaux jeunes gens. Un autre était Charles Haas, arbitre des élégances et collectionneur d’œuvres d’art, qui ne cessait de tomber amoureux de souillons. Il étudia leur personnalité, écouta attentivement leur façon de parler, imita leurs tics et en fit dans ses carnets de petits portraits littéraires. Dans son écriture, Proust était le maître de l’imitation.

Voilà. C’est tout pour le moment. La suite au prochain numéro. Amitiés à tous.