mercredi 9 mars 2016

Un moyen pour échapper au flux mental pendant la méditation



Un méditant sur la voie difficile du bouddha

Au début, pendant la méditation sur le souffle (anapana-sati) ou le metta-bhavana (méditation de la bienveillance), nous sommes constamment perturbés par les pensées parasites, qui expriment les problèmes qui nous habitent, les souvenirs, les projets, les désirs, les peurs. Le flux ne semble jamais devoir finir, comme si le fait de demeurer immobile activait le processus mental. La question se pose alors : quelle attitude adopter vis-à-vis de ces pensées qui « marchent toutes seules », sans que notre volonté intervienne.

Certains enseignements préconisent de les chasser avec vigueur, d’autres (les plus nombreux) de les laisser dérouler leur fil sans s’y attacher. Alors les pensées deviendront semblables aux nuages qui passent dans un ciel bleu sans le perturber.

Face à cette difficulté, l’attitude juste est, comme souvent en bouddhisme, la voie moyenne : elle consiste à remonter l’enchaînement des pensées jusqu’au moment où nous avons perdu le fil de notre présence mentale. (Ce procédé est extrait du livre d’Erik Sablé Les 7 clés de la méditation).

Pendant l'anapana-sati, il faut s’arrêter un instant dans le souffle, entre deux inspirations-expirations. On s’apercevra que l’on s’est évadé psychiquement. Une pensée-racine, un son qui nous est arrivé du passé, le chant d’un oiseau, nous a fait penser à un arbre que nous escaladions enfant, puis à la maison où nous passions nos vacances, puis à notre famille, etc. Lorsque cette pensée racine (le chant de l’oiseau) a terminé son cycle, une autre sensation, une autre image, un autre souvenir crée un nouveau cycle de pensées. Les cycles se suivent et les pensées s’enchaînent sans fin, agréables ou désagréables, chargées d’inquiétude, de passions ou d’amertume. Parfois notre paysage mental s’anime brusquement lorsqu’une émotion de désir ou de colère nous habite et les pensées se mettent à tourner beaucoup plus vite dans notre esprit.

Mais attention, remonter l’enchaînement des pensées est beaucoup plus difficile qu’il ne le semble car le mental n’aime pas être vu. La lumière de la pleine conscience le gêne et il fera tout pour se perpétuer en dehors de cette conscience témoin. Mais, si nous persistons dans cette pratique de remonter dans les pensées, elle finira par nous paraître beaucoup plus facile.

Cet exercice est aussi un moyen de connaître le fonctionnement du mental. Si nous chassons les pensées ou si nous les laissons dérouler leur fil, nous ne pourrons pas connaître leur mécanisme. Cette pratique donne le recul nécessaire nous permettant de savoir le pourquoi de notre identification à nos pensées. En remontant le fil, nous verrons qu’elles visent seulement à perpétuer l’ego, le moi.

Si nous sommes attentifs, nous nous apercevrons que le moi n’existe qu’au travers du déroulement des pensées. Il est ce « je » qui se perpétue à travers leur flux. C’est pour cela que nous vivons entièrement au niveau de notre pensée, que toutes nos expériences sont accompagnées par elle. Sans les pensées, le moi tombe, il n’existe plus.

Or le moi veut vivre, s’éprouver, se perpétuer. Comme il se sent exister à travers le mouvement des pensées, il les suscite pour pouvoir se sentir vivre à travers elles. L’arrêt de nos pensées est perçu comme une crise dépressive, une mort par le moi et cela lui est insupportable. A la racine de l’effervescence mentale se trouve l’angoisse du moi de ne plus avoir d'activités, de ne plus exister. Le moi craint par-dessus tout de disparaître, d’être nié, rejeté.

Il est important de ne pas considérer les pensées comme des « ennemis » mais comme des amis un peu agités, un peu perturbants, mais avec lesquels nous pouvons dialoguer en étant à l’écoute de ce qu'ils veulent signifier.

Au fil de cette analyse qui remonte à la racine de la pensée, le processus sera « vu » dans sa réalité et ce flux se détachera de notre conscience profonde. Il se déroulera à une certaine distance sans affecter réellement notre être. Des plages de silence s’installeront de plus en plus souvent, elles seront de plus en plus longues. Un silence encore coupé de pensées mais qui se font lointaines, jusqu’au moment où le silence deviendra le fond sur lequel se déroulera notre vie (ce qui est la caractéristique des grands méditants).

Voilà. C’est tout pour aujourd’hui.
La suite au prochain numéro comme dans les romans-feuilletons du dix-neuvième siècle ou dans les séries télévisées américaines actuelles.
Amitiés à tous.

Les 5 obstacles à la méditation et ses 4 formes premières (dhyâna) selon les textes bouddhistes




Le bouddha Shahyamuni a découvert le Dharma (enseignement) en méditant


Sur ce sujet des 5 obstacles à la méditation et de ses 4 stades, j’ai utilisé trois sources principales, le monumental Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme de Philippe Cornu, Le Dictionnaire de la sagesse orientale publié chez Robert Laffont, et Vision et Transformation de Sangharakshita que vous pouvez vous procurer au Centre Bouddhiste Tiratna de Paris.

Il y a traditionnellement dans le bouddhisme 5 obstacles à la méditation (nivaranas)
1)      Le désir
2)      La méchanceté
3)      La raideur ou la mollesse
4)      L’agitation et le remords
5)    Le doute (pour le bouddhisme, le doute équivaut à un refus de comprendre. Il a l’incertitude pour caractéristique, l’hésitation pour nature, l’indécision pour manifestation. Tout le problème vient de ce que l’on attache une attention erronée à ses doutes.)

Il est indispensable de surmonter ces cinq obstacles pour ensuite franchir les 4 étapes de la méditation, dhyânas (dites de la Sphère de pure corporéité ou du monde de la forme)
1)      Le premier stade se caractérise par l’abolition des désirs et des éléments malsains (Akushala) ; on l’atteint par la pensée (vitarka) et la réflexion (Vichara) ; à ce stade règnent la joie (priti) de la compréhension de la doctrine et le bien-être (sukkha).
2)      Le deuxième stade se caractérise par l’apaisement de la pensée et de la réflexion, un état de calme intérieur et une concentration aiguë de l’esprit sur un objet de méditation précis. On baigne toujours dans la joie et le bien-être.
3)      Au troisième stade, la joie disparaît,  remplacée par une absence totale de sentiments ou équanimité (Upeksha : ce mot désigne un esprit qui ne connaît ni joie, ni souffrance) : on est éveillé, conscient et l’on ressent du bien-être.
4)      Au quatrième stade ne subsistent plus que l’équanimité (Upeksha) et l’acuité d’esprit.  

  Dans ce contexte, on entend Upeksha comme impartialité, l'intention de bienveillance étant égale envers un proche à celle envers un inconnu ou même envers quelqu'un de malveillant à notre égard. Elle nous permet d'être avec ce qui existe sans être perdu ou désespéré, sans prendre les choses personnellement ; c'est l'acceptation totale de ce qui est.  

Mais ce n'est pas être indifférent ou passif. C'est une attitude liée à la compréhension, à l'ouverture et à la clarté. Nous pouvons aussi bien sûr agir. C'est simplement ne pas vouloir changer ou contrôler les choses selon nos souhaits. C'est accepter les choses simplement comme elles ont été jusqu'à présent. Nous passons beaucoup de temps à résister, à lutter, à rejeter, à ne pas accepter les situations et les gens. Pourtant, tout est impermanent. 

Nous ne désirons que ce qui est plaisant, agréable et bénéfique, et cela génère en nous beaucoup d'anxiété et de souffrance. Si nous permettons aux choses d'être ce qu'elles sont, si nous les acceptons, nous ressentons alors une grande paix. Avec l'équanimité, chaque instant est parfait, notre cœur s'ouvre à ce qui est plaisant, tout comme à ce qui est déplaisant. Nous sommes tolérants vis-à-vis de ce qui est désagréable. 

Par la pratique, l'équanimité se développe et nous devenons capables de lâcher prise, d'accepter et de voir les choses telles qu'elles sont réellement. La sagesse et la compréhension émergent tout naturellement. Nous ne pouvons pas faire surgir ces qualités, ces facteurs d'illumination par notre volonté. Ils ne se développent que grâce à la pratique, à une motivation et une intention sincères, au désir d'être présent, avec patience. Quand ces qualités sont pleinement développées, l'esprit devient lumineux et clair, plein de joie, de paix et de liberté. Nous pouvons enfin vivre harmonieusement et heureux.

La suite au prochain numéro comme dans les romans-feuilletons du dix-neuvième siècle ou dans les séries américaines contemporaines. Amicales salutations.