jeudi 2 juillet 2015

Relations, ressemblances entre le bouddhisme et l'hindouisme, notamment les Yogas (deuxième partie)







Le Bouddha atteint l’Eveil sous un figuier après une longue méditation (Dhyâna), la septième observance du Raja-Yoga (Yoga Royal)


II) Le Yoga de la connaissance, Jñana Yoga

Le yoga de la connaissance est un yoga basé sur le discernement et la connaissance des textes sacrés.

A) Il y a quatre qualifications préalables requises pour ce yoga qui semblent presque être bouddhistes :

1) Le yogi doit faire la discrimination entre ce qui est permanent et impermanent. La réalité empirique, quotidienne, est soumise à un changement incessant. Ce qui est à un moment, et n’est plus à l’instant d’après, ne saurait être réel. Dans le bouddhisme, une des trois caractéristiques des phénomènes est l’impermanence : tout est constamment changeant, tout est flux, rien n'est figé une fois pour toutes.

2) Le détachement.
Le yogi doit avoir un désintérêt profond pour tous les objets de jouissance, étant donné leur caractère impermanent (troisième noble vérité du bouddhisme).

3) Le Yoga de la connaissance demande de posséder ces six trésors : a) calme de l’esprit (pensée juste), b) maîtrise de soi (parole juste, action juste), c) cessation de toute activité en vue d’un but intéressé (moyens d’existence justes), d) endurance (courage et patience pour poursuivre son effort malgré les difficultés et les obstacles) (effort juste), e) complète concentration et stabilité de l’esprit (attention juste), f) foi venant d’ une adhésion délibérée de l’entendement à la vérité telle qu’elle est exposée dans les textes sacrés et d’une ferme conviction dans la possibilité d’atteindre soi-même la Délivrance.

4) L’intense aspiration à la Délivrance.
Attention, cette notion est très importante : le yogi doit posséder le désir ardent de s’affranchir de toutes les formes de servitude pour parvenir à la Délivrance.

B) Le but : devenir un délivré-vivant.

Celui qui possède les qualifications que l’on vient de voir et qui se concentre uniquement sur la Connaissance peut devenir un délivré-vivant. Le délivré-vivant est un peu comme un Bouddha. Bien que demeurant en contact avec son corps, qui continue à vivre, il n’est nullement déterminé par les conditionnements qui en découlent. Sa mort (comme le Parinirvâna en Bouddhisme) ne touche pas plus le délivré que la chute d’une feuille n’affecte l’arbre en automne.

III) Le Samkhya

Dès ses plus anciennes formulations dans les Upanishad, dans l’épopée La Bhagavad Gita, dans les Yoga Sutra et leurs commentaires, le Yoga se présente comme étroitement lié à un autre « point de vue » (darsana) traditionnel, au Samkhya. Celui-ci établit des principes sur lesquels le Yoga fonde sa pratique et définit avec clarté le but que le Yoga se donne pour cible, de sorte que toutes les disciplines que propose le Yoga sont dépourvues de sens si l’on ne comprend pas la cosmologie, la psychologie et la doctrine du Salut fournies par le Samkhya. Lui et le Yoga, que l’on tient pour les deux plus anciens enseignements (Le Mahabharata les appelle « les deux doctrines éternelles ») sont souvent considérés comme les deux aspects, l’un théorique, l’autre pratique, d’une même doctrine. Cependant,  il se trouve que maints concepts développés par la suite par les bouddhismes ressemblent furieusement à l’enseignement du Samkhya. Détaillons-les !

A) Insatisfaction de la condition humaine ordinaire
Nous vivons tous une triple misère existentielle :
1) celle qui provient de soi-même, essentiellement la souffrance mentale : a) Obtenir ce qu’on n’aime pas, b) ne pas obtenir ce qu’on aime, etc.
2) celle qui provient des autres êtres : a) morsure du serpent, agression du loup qui a faim, b) haine ou jalousie de la part des autres, c) perte des personnes chères.
3) celle qui vient du ciel : a) sécheresse, cyclone, catastrophes naturelles, etc. b) influences planétaires.

Les moyens de salut fournis par la religion officielle, rituelle et sacrificielle, sont considérés par le Samkhya comme insuffisants. Pour lui, « l’éternité » proposée par différentes croyances est elle aussi impermanente du fait qu’il y aura encore après des renaissances perpétuelles (transmigrations, cycle ininterrompu des actes et de leurs conséquences : karma).

De plus, la misère existentielle demeure exactement semblable dans l’opulence et la richesse. L’homme, même quand tous ses besoins et ses troubles physiques, mentaux, moraux et financiers ont été éliminés, demeure avec une sorte d’inquiétude et d’agitation intérieure, une instabilité, une insatisfaction, un manque, quelle que soit l’ampleur de ses succès extérieurs.
Ces considérations correspondent exactement à la première noble vérité du bouddhisme : tout est souffrance (dukkha) que je développerai plus tard. 

Les bouddhistes croient aussi  comme les hindouistes à la réincarnation, mais avec une variante, cela s’appelle la métensomatose ; leur réincarnation est physique et non psychique : l’ancien corps transmet au nouveau corps certains de ses éléments. Il y a cependant une exception à cette doctrine dans le bouddhisme tibétain avec les Tulkous, personnalités religieuses (lamas  en général) reconnues comme réincarnations d'un maître ou d'un lama disparu.

B) L’ignorance
Dans l’état actuel des choses, la seule raison qui, pour le Samkhya, puisse expliquer pourquoi les âmes, essentiellement libres, sont entraînées et enchaînées dans le cycle des renaissances perpétuelles, est l’ignorance. Etant avant tout un système pour parvenir au Salut, le Samkhya ne cherche pas à savoir qui a causé cette ignorance, mais comment y mettre fin. Un homme en train de se noyer ne réfléchit pas sur la nature du faux mouvement qui l’a précipité dans l’eau mais ne pense qu’aux moyens par lesquels il peut être sauvé. Pour les hindouistes, ce qui transmigre est le corps subtil et il faut donc agir sur son karma (voir paragraphe suivant).
Précisons en passant, que comme je l’ai déjà noté plusieurs fois, un des trois poisons pour le bouddhisme est l’ignorance.

C) Le karma
La notion de karma existe à la fois dans l’hindouisme et le bouddhisme.
Les hindous croient au cycle des morts et des renaissances. Cinquante-deux millions de naissances sont nécessaires avant de renaître comme un humain. Une fois la naissance humaine acquise, il ne faut pas la gaspiller en se faisant du mauvais karma, car cela engendrerait une réincarnation rétrograde. Le karma de chacun est de bien faire son devoir sans en chercher les fruits (« Ainsi, l’homme doit agir par sens du devoir, détaché du fruit de l’acte, car par l’acte libre d’attachement, on atteint le Suprême », Bhagavad-Gîtâ, III, 19). La vie humaine, dans l'hindouisme, donne l'opportunité de se libérer du cycle du karma. Le karma acquis n’est véritablement  déterminant qu’à cinquante pour cent dans notre vie, le reste est liberté. L’état de libération de ce cycle du karma est appelé nirvana ou moksha.
C’est donc par compréhension de cette loi impersonnelle, et dans son propre intérêt, que l’hindou s’abstient d’actes aux conséquences nuisibles, et non par considération d’un «autre», un Dieu quelconque garant de l’ordre spirituel.
Dans le bouddhisme, tout résultat est issu de causes (Karma) qui ont la capacité de le produire. Si on plante des pépins de pomme, c'est un pommier qui poussera, pas du piment rouge.
De la même manière, si nous agissons de manière positive, le bonheur s'en suivra; si nous agissons de manière destructrice, il en résultera des problèmes. Tout bonheur et toute chance qui nous arrivent dans nos vies viennent de nos propres actions positives, tandis que nos problèmes résultent tous de nos propres actions destructrices.
Les graines de nos actions restent avec nous d'une vie à la suivante et ne se perdent pas. Mais si nous ne créons pas la cause ou le karma de quelque chose, nous n'en récolterons pas les résultats : si un fermier ne sème pas, rien ne poussera.

D) Méthodes du Samkhya

1) Ce que le disciple doit faire :
a) Une étude intellectuelle de la vérité.
b) Une réflexion permanente sur les principes de la doctrine.

2) Ce qu’il faut éviter
a) Se reposer sur la Nature elle-même, attendre qu’elle fasse tout le travail pour faire surgir la connaissance libératrice.
b) Se fier aux moyens extérieurs : se comporter comme un ascète ne produit pas la Délivrance.
c) Compter sur le temps. Surtout ne pas dire : « Bah ! Avec le temps, j’obtiendrai bien la Délivrance. A quoi bon l’étude des principes ? ». Celui qui pense que la Délivrance viendra d’elle-même, dans son propre temps, lui non plus, ne l’atteint pas.
d) S’accommoder de son état en pensant que la Délivrance est une question de chance, qu’elle vient parfois tôt, parfois tard, avec ou sans effort, selon la chance de chaque individu. Pour celui qui se satisfait ainsi, il n’est pas de délivrance.

En résumé, la seule voie indiquée par le Samkhya est la méditation ininterrompue sur les principes de la doctrine, grâce à l’enseignement oral de maîtres, avec le support de textes traditionnels et l’aide d’amis authentiques qui ont compris la vérité.

Mais cette pratique est justement celle du Centre bouddhiste Triratna de Paris : toute soirée de la Sangha (communauté) comporte une longue méditation, la plupart du temps la lecture d’un texte sacré (par exemple récemment le « Kalama Sutta : Discours aux Kalamas », Anguttara Nikaya III, 65, texte de la corbeille Tipitaka, partie consacrée aux sermons de Bouddha : « Sutta Pitaka » du bouddhisme Theravada) et son commentaire, puis un échange sur un thème avec des membres ordonnés et des amis spirituels (que l’on connaît au fur et à mesure des cours et des soirées).

In fine, un érudit m’a expliqué qu’en fait, si, entre le bouddhisme et l’hindouisme, le but n’est pas exactement le même, la Sādhana, la réalisation, exécution quotidienne, pouvait être presque semblable.


Voilà. C’est tout pour aujourd’hui. Je désirais cette mise au point pour montrer que beaucoup de religions sont proches l’une de l’autre. La suite au prochain numéro comme dans les romans-feuilletons du dix-neuvième siècle ou dans les séries télévisées américaines modernes. Amicales salutations.

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