lundi 27 avril 2015

Spectacle de mentalisme de Fabien Olicard


Extraits du spectacle de Fabien Olicard


Bonjour,


Je suis allé voir le mentaliste Fabien Olicard mercredi au Point Virgule, 7 rue Sainte-Croix de la Bretonnerie, dans le quatrième arrondissement,

et j’ai perçu rapidement les trois aspects fondamentaux de ce spectacle hors normes et maintes fois primé (Robert Houdin d’or 2014, Prix de la fédération Maginot de l’Ordre Européen des Mentalistes 2014, Mandrake d’Or 2012, etc.)

1) De tous les mentalistes que j’ai vus à Paris, Fabien Olicard est sans doute le plus drôle (il occupe la scène d’une manière impressionnante, n’est jamais à court de répartie, et l’on discerne en permanence sa très bonne formation antérieure à la discipline du stand-up).
Mais il n’est pas que ça, et je le dis d’un point de vue technique :

2) Il a une vitesse d’exécution hors du commun (il a déjà fini lorsque vous commencez : il faut voir l’expérience du carré magique qui est hallucinante de rapidité ; comme il vous l’explique, vous pouvez, quand c’est terminé, prendre une photo du carré pour le vérifier durant la nuit à tête reposée).

3) Surtout il est brillant dans sa manière de diriger son show (il sait à merveille guider le spectateur sur de fausses pistes explicatives : à ne pas rater surtout son final, le brillant Fabien Olicard test, où il ne veut pas montrer les feuilles restantes après sa prédiction ─ je ne dirai pas la suite ─ il faut aller voir le spectacle dès demain, y courir) et grâce à ces fausses pistes qu’il propose au public, il peut provoquer un double climax qui laisse à la plupart des spectateurs l’impression d’avoir été confronté à l’irrationnel, à l’impossible.

Au début du show, il fait monter une jeune femme sur la scène et, au bout de quelques minutes, il parvient à deviner le nom de son film préféré, Intouchables.

Puis il donne trois cartes de visites à trois spectateurs, leur fait noter leur hobby, ce qui les passionne dans la vie. Pour deux des spectateurs, c’est la moto et Fabien Olicard le devine. Il fait venir la jeune femme restante et parvient à découvrir à quelle personne aimée elle pense, son père, et le prénom de celui-ci, Sylvain.

Ensuite, il sort de sa poche un jeu de cartes géant, le donne par séries de 10 cartes à cinq spectateurs. Il fait choisir à chacun une carte, dans le paquet qu’il a en main, et la perçoit psychiquement, à chaque fois par des méthodes différentes, analyse des modifications de la voix, théorie des micro-expressions de Paul Ekman, programmation neuro-linguistique (observation des mouvements des yeux), synergologie (étude du langage du corps), cumberlandisme (lecture de pensée musculaire) et technique de détection de mensonges au poker.

Il explique, après ces expériences de lecture de pensée, qu’il croit à la théorie de Jung sur les synchronicités, les coïncidences magiques, et il dit aux spectateurs qu’ils ne sont pas venus là pour rien, sans raison : ils sont tous en communion d’esprit. Pour le démontrer, il leur fait sortir leur téléphone portable et se connecter sur la fonction calculatrice. Il leur suggère une série de nombres qu’ils doivent ajouter les uns après les autres : année de naissance, année de réussite, nombre aléatoire, etc. A la fin, incroyable coïncidence, tous les spectateurs lisent le même nombre sur leur téléphone.

Puis il passe au tour de l’annuaire téléphonique, lui aussi exceptionnel. Il fait circuler une calculatrice dans le public pour que trois personnes additionnent des nombres de leur choix. Le résultat obtenu est noté sur le tableau de la scène.
Alors, un bottin téléphonique de la Charente Maritime est donné à un autre spectateur. Le nombre obtenu de manière aléatoire va être décomposé dans tous les sens pour donner des numéros de page. A chaque fois, Fabien Olicard décrira avec précision la page obtenue : noms, adresses, numéros de téléphone ...
Enfin, le mentaliste dit au spectateur qu’en Charente-Maritime les numéros commencent par 05, et rajoute donc cet indicatif au résultat obtenu par addition, donnant ainsi un numéro de téléphone. Alors, Fabien Olicard indique une page où se trouve inscrit le titulaire de ce numéro. Incroyable, époustouflant !

Ce n’est pas fini. Notre mentaliste aborde les prouesses de mémoire. Il demande un nombre dans la salle qui est composé par le choix de deux spectateurs. C’est au hasard le nombre 79. En 29 secondes, le mentaliste réalise un carré magique. Vous connaissez le carré magique ? Il a verticalement et horizontalement quatre cases. On met des chiffres dans les cases et quand on additionne, soit verticalement, soit horizontalement, soit en diagonale, cela donne toujours le chiffre 79. Le réaliser comme Fabien Olicard en 29 secondes est une prouesse digne des plus grands mnémotechniciens, comme par exemple Charles Barbier.

Pour inciter les spectateurs à aller sur le site BilletRéduc.com et à écrire leur avis (ce qui est en effet très important et je vous y encourage aussi), le mentaliste fait réaliser par la salle une amusante démonstration de fausse hypnose.


Mais c’est le moment du Fabien Olicard test, le final complètement tueur qui laisse sans voix, sans explication rationnelle. C’est pourquoi je ne vous dirai rien à son sujet... Précipitez-vous, prenez votre billet si vous voulez être ébahi comme j’ai été ébahi, transporté comme les spectateurs dans la salle ont été transportés. Vous verrez tous les effets qu’un grand mentaliste peut réaliser. En conclusion, merci à Fabien Olicard de nous avoir emmené dans un univers de rêve absolument incroyable, de nous avoir fait rire aussi, et enfin d’avoir montré le meilleur de ce qu’est l’humain, les étonnantes capacités psychiques qui demeurent en nous mais qui y sont trop souvent en sommeil !

jeudi 16 avril 2015

La mnémotechnie selon Aristote



Apollon, le dieu des Arts, Mnémosyne, la déesse de la Mémoire et ses filles, les neuf Muses



Jour 4 



Sur la mémoire et la mnémotechnie,
compte rendu du livre
de Benoît Rosemont



Chapitre 6, Principes de la mnémotechnie : Aristote

Aristote a exposé sa théorie sur la mémoire dans un ouvrage intitulé De anima. Selon lui, les perceptions données par les cinq sens sont d’abord traitées par la faculté de l’imagination. Les images ainsi formées deviennent le matériau de la faculté intellectuelle. C’est sur la formation de ces images que s’appuie la mnémotechnique. L’imagination est l’intermédiaire entre la perception et la pensée, d’où son importance. Ainsi, alors que toute connaissance dérive, en dernière analyse, d’impressions sensorielles, ce n’est pas sur cette matière brute que la pensée travaille, mais seulement une fois que ces impressions ont été traitées ou absorbées par la faculté imaginative.
C’est pour cela qu’un bon mnémotechnicien est avant tout capable de générer des images inventives et efficaces.

Lorsque vous chercherez une image, dites-vous que la première est la bonne… sauf si elle est trop évidente. En effet, si elle est trop évidente, elle passera pour ordinaire et marquera moins la mémoire. En revanche, si elle est spontanée, c’est qu’elle est logique et qu’elle vous guidera naturellement. Il faut bien peser ces deux critères lorsqu’on crée une image mnémonique.
Les débuts pourront vous sembler laborieux, tout dépend de l’utilisation actuelle que vous faites de votre imagination. Ce qui est certain, c’est que plus vous ferez appel à elle, plus elle se développera, et votre capacité à mémoriser aussi.
D’une manière générale, il faut retenir deux principes : l’association et l’ordre. L’association, selon Aristote, se produit du fait de trois éléments : la ressemblance, la différence ou la contiguïté. Il y introduit la méthode des lieux de mémoire pour illustrer les remarques qu’il fait sur l’association et l’ordre dans le processus du souvenir.

Benoît Rosemont a isolé de la pensée de ce philosophe six principes sur la mémoire :

Pour associer deux images, il faut qu’elles n’en forment plus qu’une. Il est impératif de prendre la première, puis de prendre la seconde et de créer une nouvelle image à partir de ces deux-là. Pour cela, il faut les modifier. Je vais en donner un exemple très concret après avoir passé en revues les six principes pour la mémoire.

Pour bien marquer l’esprit, mettez vos images en mouvement, créez des actions. C’est plus mémorisable qu’une représentation statique.

Placez vos images dans un contexte précis. Il faut qu’elles racontent une histoire. Cela vous prendra du temps au début, mais avec l’entraînement, cela viendra naturellement et rapidement.

N’hésitez pas à déformer les images, les agrandir exagérément, jouer sur le surnombre. Tout ce qui sort de l’ordinaire se retient mieux. Plus l’image est incongrue, mieux elle sera retenue.
Concevoir, mais voir ! Il ne faut pas se contenter de concevoir les images, mais il faut les voir. Lors de vos premiers exercices, prenez le temps de fermer les yeux quelques instants, et de voir sur le tableau noir de vos paupières les images que vous formez.

Il faut que tout cela vous soit personnel, c’est pour cela que, même s’il est plus facile de choisir les images que je vous suggère, il est préférable que vous fassiez l’effort de créer les vôtres. Relisez au moins trois fois ce principe !

Pour que vous compreniez bien la méthode d’association de deux images, nous allons faire un petit exercice entièrement pratique. Il s’agira pour nous (vous et moi) d’associer l’image d’un « hérisson » avec celle d’une « H.L.M. ».

D’abord, voyons ce qu’il ne faut pas faire :
Imaginer le hérisson à côté de la H.L.M. car il est trop petit et deviendrait invisible.
Poser le hérisson sur la H.L.M., car vous vous souviendriez qu’il y a quelque chose sur l’immeuble, mais vous ne sauriez pas quoi.

Maintenant, construisons ensemble une association durable entre les deux images que nous avons choisies en respectant un certain nombre de règles :

Le hérisson doit courir dans la H.L.M. (un peu à la manière d’un dessin animé, quand le chat et la souris se coursent dans la maison en passant par toutes les portes du couloir) : une image en mouvement se mémorise mieux, c’est la première règle.

Il y a le feu dans l’immeuble, c’est pour cela que tout le monde court : une image chargée émotionnellement, dramatique, se retient mieux, c’est la deuxième règle.

Il y a plein de hérissons, et ils sont de la taille d’un chien ! En plus, ils savent grimper aux murs. Ici trois principes : premièrement, une image à personnages multiples se grave mieux dans l’esprit, en deuxième lieu une image grandiose, gigantesque, impressionne plus la mémoire, et, pour finir, une image étrange, impossible, inattendue s’incruste définitivement dans notre cerveau.

Définissez vous-même la quatrième règle. C’est à vous de travailler, de faire marcher votre imagination. Vous le pouvez. Tout le monde le peut.

Notre image finale sera donc une H.L.M. où il y a le feu, où courent des hérissons gigantesques qui peuvent, soit grimper aux murs, soit pointer leur tête aux fenêtres pour essayer d’échapper à l’incendie. Vous verrez que vous n’oublierez jamais cette image mentale.
Mais vous vous dites peut-être qu’il faut beaucoup d’imagination pour créer ces images et vous pensez ne pas l’avoir. Je peux vous affirmer que tout le monde fait des progrès, cependant il faut travailler régulièrement. Benoît Rosemont a fait des exercices de mnémotechnie tous les jours pendant quinze ans. Personnellement, j’ai commencé ces exercices d’associations d’images en apprenant ma table de rappel en 1983 (nous verrons cette méthode géniale qui permet de retenir des dizaines de mots par cœur dans mes prochains articles) et c’est en travaillant que j’ai développé mon imagination (en même temps d’ailleurs que ma créativité).

En résumé, le point primordial est de marquer l’esprit en exagérant les associations, en les rendant uniques, en y mettant une émotion intense. Vous vous souvenez probablement de beaucoup de détails liés à la naissance de votre premier enfant ou alors au décès d’un proche. Vous vous rappelez le temps qu’il faisait, la couleur de votre tenue…

Le 11 septembre 2001, lorsque les avions se sont écrasés sur les tours à New York, où étiez-vous ? La plupart d’entre nous est capable de le dire avec précision. Je m’en souviens parfaitement : j’étais à Radio France ; la nouvelle a fait l’effet d’un coup de pied dans une fourmilière. Tout le monde courait partout et j’attendais bêtement tout seul pour une interview. Pourquoi je m’en souviens, pourquoi vous vous en souvenez, c’est parce que nous avons eu l’occasion de faire un lien fort. Une intense émotion à la fois d’horreur et d’incompréhension a été générée en nous, qui nous a marqués profondément et a fait que nous nous ressouviendrons toujours de ce jour tragique dans ses moindres détails.

Le processus sera le même avec les exercices de ce blog : il faudra que vous formiez des images uniques avec une émotion intense. Si l’image qui vous vient à l’espritvous dérange, vous heurte dans votre sensibilité, alors vous vous en souviendrez. N’oubliez pas que vous êtes seul à savoir ce que vous pensez. Donc, libérez- vous !
Plus il y aura d’émotions liées à vos images, plus il y aura de liens créés, donc plus les images seront codées dans votre mémoire. Et plus le codage créé dans votre mémoire à court terme sera riche, plus vous aurez de moyens pour retrouver l’information dans votre mémoire à long terme.


Voilà, c’est tout pour aujourd’hui. La suite au prochain numéro !

vendredi 10 avril 2015

Spectacle de mentalisme de Pourang



Bonjour,

Je suis allé voir mercredi le spectacle L’œil de Cassandre du mentaliste
Pourang
(Théâtre Funambule Montmartre, Paris dix-huitième)
et j’ai été impressionné, émerveillé, voire déstabilisé.

Il y a plusieurs mentalistes qui tournent actuellement sur Paris. J’ai assisté au spectacle de la plupart d’entre eux. En général, ils sont bons, font bien leurs tours, ont un contact satisfaisant avec le public, mais Pourang est différent. Il y a plusieurs éléments qui se combinent dans son spectacle et le font ressembler à celui de certains grands mentalistes américains, comme Banachek, Richard Osterlind ou Max Maven. Le premier point est la maîtrise totale de son show : sa technique magique est parfaite, ainsi que son interprétation scénique et ce que les prestidigitateurs appellent le boniment (art de parler, fascination du public par une parole brillante).

En second lieu, en prenant comme fil rouge la vie dramatique de Cassandre, qui pouvait prédire l’avenir et que personne ne croyait (mais aussi les quatre éléments dans la philosophie grecque : la terre, l’air, l’eau et le feu), Pourang procède comme tout bon mentaliste devrait procéder : il nous raconte une histoire. Les meilleurs spectacles auxquels j’ai pu assister se déroulent ainsi : ils ont une thématique qui charpente tout le show (Jean-Michel le Magicien s’est basé sur la vie imaginaire d’Arsène Lupin, Xavier Nicolas oriente sa présentation sur les événements extraordinaires qui arrivent sans qu’on s’y attende et qu’on les ait prévus ( !): la disparition des dinosaures, le naufrage du Titanic, l’attentat du 11 septembre contre les tours jumelles, etc.). Ensuite, ce que j’adore chez Pourang, c’est son humour (jamais lourd), son sens de la répartie et sa gestion parfaite des spectateurs sur la scène (il y fait venir au moins dix membres du public).

Cependant, je préfère vous prévenir, son spectacle est si complexe, si prolixe, si déroutant, il vous emmène subtilement dans tellement de fausses et illusoires directions que je ne pourrai pas vraiment vous le décrire d’une manière à la fois ordonnée et détaillée. Ce texte sera donc une ébauche, avec les grandes idées, les tours principaux, l’ensemble de ce qui m’a étonné, écrite dans le seul but de vous donner envie d’aller voir le show de ce très grand mentaliste et de juger de l’ensemble par vous-même.

Au début du spectacle, sur le plateau se trouve une simple bougie. D’un mouvement de la main, Pourang l’allume à distance. Il fait un petit discours sur ce qui est réel, logique, scientifique et sur son contraire, ce qui paraît complètement irrationnel, voire délirant, ce qui ne peut pas être expliqué par la science. Il nous parle de la pauvre Cassandre, qui a vécu dans l’Antiquité au temps de la guerre de Troie (celle-ci commença en 1184 avant Jésus-Christ) et qui avait un don exceptionnel, celui de prédire l’avenir. Malheureusement, personne ne l’écoutait et l’on ne tenait pas compte de ses avertissements. Elle était la fille de Priam, roi de Troie, et d’Hécube, et avait un jumeau, Hélénos. On raconte que, très jeunes, les deux enfants s’endormirent dans le temple d’Apollon où ils furent retrouvés le lendemain entre deux serpents qui leur léchaient les oreilles et la bouche. Cet épisode expliquerait en partie le don de divination qui les toucha tous les deux quand ils grandirent. Mais surtout, par la suite, Apollon tomba amoureux de Cassandre qui était réputée pour sa beauté sans égale. Elle se promit à lui en échange de l’apprentissage de l’art de prédire l’avenir. Cependant, une fois instruite dans cette science, elle n’accorda au dieu du Soleil qu’un simple baiser, en se moquant de sa naïveté. Alors Apollon, qui ne pouvait reprendre son don, lui retira le pouvoir de persuader, malgré l’exactitude de ses prédictions. Elle prévint sa famille du malheur qui allait résulter du voyage à Sparte de Pâris. Il y enleva la belle Hélène, la femme de Ménélas, roi de la cité, ce qui bien évidemment déclencha une guerre entre les Troyens et les Grecs. De même, elle mit tout le monde en garde contre le cheval de Troie, où s’étaient dissimulés les guerriers ennemis, qui fut finalement à l’origine de la défaite des Troyens et de la destruction totale de la ville. L’histoire pourrait être longue : emmenée comme captive par Agamemnon, un prince grec, elle prévit l’assassinat de son amant et d’elle-même par sa femme Clytemnestre (mais là aussi ne fut pas crue).

A la fin de son discours, Pourang éteint la bougie, toujours à distance. Pour choisir un spectateur ou une spectatrice dans le public, il pratique la méthode dite du nounours. Il envoie un ours en peluche dans la salle que le spectateur qui l’a reçu relance vers un autre membre du public. Une jeune femme est ainsi choisie pour venir sur la scène. Pourang le mentaliste lui montre un tableau avec les quatre éléments constitutifs du monde tels qu’ils étaient décrits par le philosophe grec, Empédocle. Il y a la terre, l’air, l’eau et le feu. Pourang explique que la plupart des spectateurs ont tendance à prendre le premier des éléments, la terre. Ils laissent en général de côté le feu car c’est l’élément qui détruit, qui incendie. Mais la spectatrice choisit quand même le feu. Notre mentaliste lui propose un billet de cent euros ou sa chemise s’il n’arrive pas à deviner son choix. Il déplie finalement un morceau de papier blanc où il a marqué de manière humoristique le mot : « chemise ». Finalement, il lui propose de lui donner le billet de cent euros mais c’est un faux. Après cet échec, il semble avoir très chaud et enlève sa veste. On voit alors inscrit sur sa chemise dans son dos en très grosses lettres l’inscription « Feu » avec son symbole grec. Après ce clin d’œil humoristique, Pourang triomphe sous les applaudissements des spectateurs.

Il fait venir sur la scène une autre jeune femme à laquelle il demande quel est son élément préféré. Cette fois, c’est l’eau et elle l’associe avec les poissons. Puis il lui demande de mettre dans un coffre transparent une enveloppe avec une prédiction. Il suspend en l’air le coffre à l’aide d’un câble, confie les clés du cadenas à la spectatrice et lui dit de ne pas le quitter des yeux durant tout le numéro, car il y aura dedans une prédiction finale.

Puis toujours avec le nounours, le mentaliste choisit dans la salle deux jeunes gens. Il fait inscrire sur un carnet à l’un le nom d’un animal familier qu’il avait quand il était petit, à l’autre le nom d’un ami d’enfance. Puis il prend des ardoises. Le spectateur révèle que son animal était un chat et qu’il s’appelait Epsylon. C’est la prédiction écrite sur l’ardoise par Pourang avec seulement un i à la place du y comme différence. L’autre personne choisie révèle que son ami s’appelait Nicolas. Pourang retourne son ardoise ; c’est ce qui y est écrit.

Le mentaliste propose ensuite à un membre de l’assistance de choisir au hasard, alors qu’il a le dos tourné, dans un certain nombre d’images, la représentation d’un personnage célèbre du vingtième siècle. Pourang se met alors à son chevalet et dessine en musique à l’envers un portrait. Le spectateur révèle qu’il a pris Charlie Chaplin. Pourang tourne son tableau vers le bas, c’est bien la figure qu’il a dessinée.

Enfin, il demande à un spectateur de prendre une carte dans un jeu ne représentant que des grandes figures de l’histoire. Notre mentaliste découvre son ardoise. On y voit marqué : « Les quatre éléments ». Le spectateur révèle alors qu’il a choisi « Louis XIV ». Pourang est totalement honteux ; il efface sa prédiction avec un chiffon et alors on voit apparaître très distinctement, cachés en dessous du message qui indiquait « Les quatre éléments », les mots « Louis XIV ». Là aussi, par cet effet à la fois flash et visuel, notre mentaliste fait un triomphe ; les applaudissements résonnent dans la salle.

Mais Pourang reprend son tableau avec les quatre éléments, qui constituent notre réalité selon les grecs. Il dit qu’il faut y ajouter un autre, l’esprit. Il nous raconte que c’est au dix-neuvième siècle que l’on a recommencé très fortement à croire aux pouvoirs magiques de notre esprit. Il évoque les sœurs Fox aux Etats-Unis qui, dans la nuit du 31 mars 1848, ont communiqué avec un défunt par l’intermédiaire de coups frappés et qui par la suite ont popularisé les fameuses tables tournantes. Il mentionne le nom du français Allan Kardec, qui, en 1857, écrivit Le Livre des Esprits, le premier grand manuel sur le sujet, un véritable code de communication avec les défunts, et fonda le spiritisme. Plusieurs auteurs du dix-neuvième siècle adhérèrent avec passion à ce mouvement, notamment l’anglais Sir Arthur Conan Doyle, Alexandre Dumas ou Victor Hugo. Celui-ci, exilé à Jersey, inspiré par son amie Delphine de Girardin, une passionnée de ce type de phénomènes, y fit tourner les tables du 11 septembre 1853 au 8 octobre 1855 et communiqua pendant ces deux années avec les défunts dans des réunions où assistaient ses amis et des membres de sa famille. Ces expériences furent consignées dans Le Livre des tables, où Hugo (ce n’est pas rien !), fait état de contacts avec Caïn, Jésus, Shakespeare, Dante, Chateaubriand, Robespierre, Mahomet, Napoléon et encore beaucoup d’autres tout aussi illustres, mais également avec sa fille Léopoldine, décédée très jeune par noyade, dont il n’avait jamais admis la mort brutale. Cependant, dans la nuit du 10 au 11 octobre 1855, un des participants de la séance de spiritisme, Jules Allix, frère du médecin de Victor Hugo, après avoir tenté de magnétiser une montre (sic !), fut pris d’une crise de folie furieuse, distribua des coups violents aux différents participants et déclara qu’il était Dieu, etc. On dut l’interner pendant plusieurs mois. Voilà pourquoi Victor Hugo décida brusquement d’arrêter ces incroyables séances.

C’est cette atmosphère particulière que désire restituer Pourang. Son assistante apporte un guéridon avec une clochette. Une spectatrice écrit son jour et son mois de naissance sur un papier. La clochette sonne plusieurs fois et donne de façon exacte les deux chiffres de son jour de naissance. Puis le mentaliste et la jeune femme prennent les coins de la nappe qui recouvre la table. Celle-ci décolle et s’envole progressivement, à au moins un mètre au-dessus du sol. Cette lévitation dure plus de cinq minutes, avec la spectatrice, qui passe sa main de tous côtés autour du guéridon et qui ne trouve aucun truc.

Puis Pourang choisit, toujours grâce à son petit ours, deux spectateurs, un homme et une femme, pour l’expérience qui m’a le plus bluffé. Il demande à la spectatrice, qui a les yeux fermés, de soulever un bras quand elle aura l’impression d’être touchée. Pourang se dirige alors vers l’homme et lui tapote l’épaule. La spectatrice lève le bras et dit qu’elle a senti une main se poser sur elle à cet endroit-même. Le mentaliste refait la même expérience sur l’autre épaule du spectateur. Même réaction de la jeune femme qui soulève son bras à nouveau. Là aussi, c’est un tonnerre d’applaudissements pour cette démonstration des pouvoirs de l’esprit qui défie notre rationalisme. 

Mais le mentaliste nous propose sa dernière expérience. Il lance dix journaux dans le public : Le Parisien, Le Monde, Le Canard enchainé, l’Humanité, Le Figaro, Paris Turf, etc. Un jeune homme qui a reçu un de ces magazines, Paris Turf en l’occurrence, est choisi au hasard ; il l’ouvre à la page qu’il désire, la page 9 ; une spectatrice désigne un mot qui lui plaît dans cette page 9. Incroyable ! Sur son ardoise, le mentaliste a écrit sans hésiter le mot que révèle la spectatrice.

Attention, ce n’est pas terminé ! Il y a encore le climax, l’expérience impossible, le coffre transparent qui est resté suspendu en l’air durant tout le spectacle, dans lequel la jeune femme, choisie au hasard au début du spectacle, a mis une enveloppe et dont elle a la clé autour du cou. Elle vient elle-même l’ouvrir et y prend l’enveloppe qu’elle y a déposée. Dans celle-ci se trouve un long papier, une banderole, que Pourang va déplier petit à petit, au fur et à mesure des prédictions : il y est écrit le premier élément choisi, le feu, et le deuxième l’eau ; en association est noté le mot « poissons » comme l’avait suggéré la spectatrice ; on peut lire le nom du chat du spectateur, « Epsylon », avec un « y » cette fois, et « Nicolas », le prénom de l’ami d’enfance de l’autre membre du public ; il y a aussi noté « Chaplin » et « Louis XIV », les personnage célèbres choisis au hasard ; et, en morceau final, le nom du journal lancé dans la salle, Paris Turf, le numéro de la page choisie, c’est-à-dire 9, et le mot désigné par la spectatrice dans cette page.

Les spectateurs applaudissent à tout rompre mais Pourang les interrompt et déclare : « En magie, il n’y a jamais véritablement de fin définitive. Que va-ton faire des petits morceaux de papier colorés qui vous ont été donnés au départ et remplis par vous-mêmes avec un chiffre de 1 à 9 ? » Parmi ceux qui ont été ramassés, le mentaliste en prend quatre de couleurs différentes et il reconstitue un nombre à quatre chiffres. Qu’est-ce que cela peut signifier ? C’est exactement le jour et le mois de naissance de Cassandre que le mentaliste avait mentionnés au début du spectacle, en affirmant qu’il fallait y prêter une attention particulière.

Voilà ! Le spectateur sort soit perplexe, soit désorienté, soit enthousiaste du show de Pourang, mais jamais indifférent. Qui a dit que la France n’avait pas de formidables talents en mentalisme comme les Etats-Unis ou l’Angleterre ? 

Après cette description détaillée du spectacle, je vais vous donner quelques éléments complémentaires sur la vie et l’œuvre de notre mentaliste.

1) Aperçus biographiques.
Pourang est né à Téhéran. Il est venu en France dans les années 80 à l’âge de 14 ans et a obtenu un diplôme international à l’école Américaine de Paris, ce qui lui a permis de suivre des études de médecine. Il s’est vite intéressé à la magie, mais d’abord au close-up, puis s’est spécialisé dans le domaine du mentalisme. Il est membre de différentes associations magiques : la FFAP, le CFI, l’OEDM. Outre ses spectacles, il donne des conférences sur les principes du mentalisme.
L’idée de L’œil de Cassandre lui est venue en lisant le livre de Bernard Werber, Le Miroir de Cassandre. Il a pensé que la vie tragique de cette jeune femme serait pour son spectacle un excellent fil conducteur et lui permettrait de raconter une véritable histoire à son public, ce qui est déterminant en matière de mentalisme ou de magie.

2) Bibliographie succincte sur le mentalisme.
Il y a trois très bons livres par lesquels on peut débuter si l’on s’intéresse au mentalisme. Je les cite dans cet article de mon blog. Cependant, il vous faudra, je pense, beaucoup de travail et de lectures avant de devenir l’égal de Pourang.

3) Sites Internet qui donnent des informations sur Pourang.
On peut trouver une interview dans « Sortir à Paris » au sujet de son parcours professionnel et dans Nouvelles de Paris un article sur le spectacle qui vient d’être décrit, L’œil de Cassandre.

Vous trouverez aussi de nombreuses vidéos sur YouTube : démonstrations de mentalisme, extraits du show, etc.




mardi 7 avril 2015

Importance de l'image et règles pour bien mémoriser

Chers amis, 

Je voudrais m'excuser d'avance auprès de vous pour la présentation déficiente qui va caractériser ce nouvel article. Lors de sa rédaction, j'ai rencontré constamment de graves difficultés techniques. Cependant, après réflexion, j'ai décidé de quand même  le diffuser, mais en adoptant un look quelque peu minimaliste : il n' y aura pas d"images, pas d'hypertexte, les lettres seront en petits caractères. Surtout, vous y trouverez beaucoup  d'anomalies de mise en page : des lignes collées entre elles, peu d'aération du texte, des aberrations graphiques diverses. Je vous transmets donc dans son état brut cet article, qui était prêt depuis longtemps, et qui traite de l'importance de l'utilisation des images en mnémotechnique et des règles pour bien mémoriser, cela avant de publier prochainement un compte rendu sur le spectacle du grand mentaliste Pourang.


Jour 3


Sur la mémoire et la mnémotechnie,
compte rendu du livre
Mémento de la mémoire : Améliorez votre mémoire au quotidien
de Benoît Rosemont


Avant toute chose, ma femme Wanda m’a conseillé de vous raconter une belle histoire que je lui ai narrée plusieurs fois.
L’Antiquité grecque considérait la mémoire comme sacrée au point de l’avoir transformée en déesse, Mnémosyne. Celle-ci était habituellement représentée comme une femme qui soutenait son menton et qui suggérait la réflexion. L’histoire raconte qu’elle fut aimée de Zeus et donna naissance aux neuf muses. Les muses furent les protectrices des lettres, des arts, et des sciences. Chacune avait son domaine d’élection, Calliope l’éloquence, Clio l’histoire, Erato l’élégie, Euterpe la musique, Melpomène la tragédie, Polymnie la poésie lyrique, Terpsichore la danse, Thalie la comédie et Uranie l’astronomie. Moralité sous-jacente de cette fable : la mémoire est essentielle dans le processus de créativité d’absolument tous les arts et les Anciens le savaient avant que nous ne l’oubliions.

Aujourd’hui je traiterai les chapitres 4 et 5 du livre de Benoît Rosemont: « L’importance de l’image » et « Règles pour bien mémoriser ».

Dans le chapitre 4, Benoît Rosemont cite le comédien Olivier Lejeune qui utilise des méthodes de mnémotechnique pour retenir les textes de ses rôles et qui a écrit un livre sur le sujet, Mémoire d’éléphant : « La mémoire n’est pas plus un don que la lecture ou l’écriture, mais un enseignement rapide et bien conduit permet de réaliser d’incroyables performances. »

De manière générale, il semble que le sens de la vue ait un rôle prépondérant dans la mémorisation, les autres sens venant renforcer la mémoire visuelle. L’image a donc une importance déterminante. Si je vous dis « la rose », que se passe-t-il ? Est-ce que vous la voyez ou vous la sentez ? Bien sûr, dans quatre-vingt dix pour cent des cas, vous en avez une image. La mnémotechnique consiste donc à créer de manière consciente des images, des liens avec le plus puissant des sens, la vue. Et, si l’on rajoute une notion affective aux images créées, le lien sera encore plus efficace. Il faut donc, pour garantir le souvenir, que nous y associons des émotions fortes et marquantes. Les émotions qui frappent le plus l’esprit sont, selon les individus, le rire, la démesure, l’horreur ou la tendresse. C’est à vous de découvrir celles qui sont les plus efficaces pour vous, qui vous imprégneront de façon indélébile. Benoît Rosemont nous dit que, quand il crée des images, il cherche avant tout à s’amuser et à en exagérer le sens. Une souris ? Elle sera forcément plus grosse qu’un éléphant ! Une poule ? Oui, mais sur la tête de son voisin ! La mnémotechnie est une formidable occasion de rire et de faire travailler son imagination.

Ne pensez surtout pas que vous n’êtes pas capable d'utiliser les méthodes que je vais décrire. Tout le monde a de l’imagination. Simplement, certains ont pris l’occasion de l’utiliser plus souvent que d’autres et celle-ci est plus vive. Eh bien, si vous pensez ne pas en avoir suffisamment pour les exercices qui vont venir, il faut au contraire vous convaincre que la mnémotechnie va vous permettre de développer cette imagination qui sommeille en vous !

Le chapitre 5 porte sur les règles pour bien mémoriser. Faire attention est sans doute la première des habitudes à suivre pour bien retenir, que cela soit avec ou sans mnémotechnie. On ne mémorise pas si on ne fait pas attention. Et bien souvent, ce qu’on pense avoir oublié n’a en réalité jamais été mémorisé, à peine entendu en fait. C’est l’une des actions de la mnémotechnie : en vous obligeant à former une image, elle vous force à faire attention.

Pour remédier aux différentes distractions de la vie quotidienne, il faut toujours essayer de séparer les tâches. Et donc, lorsque l’on souhaite mémoriser, il ne faut faire que cela. C’est tout à fait possible, car si vous décidez de mémoriser au moment opportun, l’action sera très brève, immédiate même avec un peu d’entraînement. Votre entourage ne se rendra même pas compte que, l’espace de quelques secondes, vous avez plongé dans un autre univers.

La deuxième règle est qu’il est illusoire de mémoriser si ce qu’il y a à retenir ne présente aucun intérêt à vos yeux ! Il faut un objectif ! La question que vous vous posez si on vous présente un monsieur Durand à une soirée, c’est si vous allez le revoir. Sera-t-il susceptible de faire partie de votre réseau de connaissances ? Et si vous faisiez l’effort juste de retenir son nom, le temps d’une soirée, par défi envers vous-même ? Il faut jouer, se donner des enjeux, créer l’intérêt, s’il n’est pas spontané. N’ayez pas peur de chercher à trop mémoriser, votre cerveau fera le tri.

Deux règles encore sont très importantes dans la mémorisation : l’implication et les émotions (plaisir et désir de faire l’effort de mémoire). Afin que les images choisies pour faciliter la mémorisation soient efficaces, il est important qu’elles vous soient personnelles. Plus vous serez impliqué sentimentalement dans vos liens, mieux vous retiendrez. Aussi, pour faciliter la mémorisation, faites attention aux émotions que vous ressentez au moment de celle-ci. N’hésitez pas à les amplifier, vous êtes le seul à les connaître. Celles-ci peuvent être positives ou négatives mais doivent de manière impérative vous toucher sincèrement.

Mais aussi prenez plaisir à la mnémotechnie. Tout n’en sera que plus facile ensuite. Avec ces méthodes, c’est votre imagination qui va s’amuser. Les images que l’on forme sont quelquefois drôles, amusantes, loufoques. Bref, la mnémotechnie, c’est un jeu. Et c’est un jeu sain qui ne peut que vous aider à aller mieux.

En dernier lieu, il faut une volonté, un désir de faire l’effort de mémoire… Si vous ne voulez pas mémoriser, vous ne mémoriserez pas ! Si vous ne voulez pas essayer de faire des images, alors vous n’en ferez pas. Il n’y a que vous qui puissiez décider de vous y mettre. Cela demande un effort, mais le jeu, croyez-moi, en vaut la chandelle !

Voilà. C’est fini. La prochaine fois, je ferai une brève pause dans mon exposition des principes de la mémoire et de la mnémotechnie pour présenter le formidable spectacle de Pourang qui est, à mon humble avis, le meilleur des mentalistes qui tournent actuellement sur Paris. Son show s’appelle L’œil de Cassandre et il aura encore lieu pendant plusieurs mois au théâtre " Funambule Montmartre"  dans le dix-huitième.

dimanche 5 avril 2015

Comment fonctionne la mémoire, jour 2



Charles Barbier, un des plus grands mnémotechniciens français du vingtième siècle, le maître de Benoît Rosemont



Jour 2

Sur la mémoire et la mnémotechnie,
compte rendu du livre
de Benoît Rosemont


Je vais poursuivre dans cet article mon exposé sur la théorie de la mémoire. Je proposerai en outre un exercice pratique pour faire travailler nos neurones (les vôtres et les miens) pendant plusieurs mois (souvenez-vous que la mémoire est comme un muscle qui se développe en étant entraîné !).
Sera traité aujourd’hui le chapitre 3 de l’ouvrage de Benoît Rosemont : « Comment fonctionne la mémoire ».

Dans ce chapitre du Mémento de la mémoire : Améliorez votre mémoire au quotidien, Benoît Rosemont décrit deux grands principes de fonctionnement de la mémoire : la mémoire à court terme, dite mémoire de travail, et la mémoire à long terme.
La mémoire à court terme peut travailler de quelques secondes jusqu’à presque deux minutes. C’est par ce filtre que passent toutes les informations que nous recevons de nos sens. Les informations recueillies sont d’abord comparées dans cette mémoire de travail avec celles stockées dans les différents niveaux de la mémoire à long terme. Ainsi notre cerveau fait sans cesse des va-et-vient entre notre mémoire à court terme et notre mémoire à long terme.
Cette dernière est organisée en trois grandes catégories :
─ La mémoire épisodique, qui est liée aux différents épisodes de la vie
─ La mémoire procédurale, qui regroupe tous nos automatismes
─ la mémoire sémantique qui est notre réservoir de connaissances et est liée à la maîtrise des mots et du langage.

Si l’on veut entériner solidement à long terme des informations, sachez qu’il existe des cycles d’apprentissage qui sont spécifiques à chaque personne. En résumé, pour qu’une information soit ancrée dans notre mémoire, comme un poème par exemple, il faudrait le réciter une heure après l’avoir appris de manière approfondie, puis le lendemain, ensuite après trois jours, une semaine, deux semaines, un mois, un semestre et ainsi de suite en espaçant peu à peu les phases de rappel.

Justement, prenons le taureau par les cornes et effectuons cet exercice. Pensez à un auteur de poésies qui vous fascine et choisissez un poème de lui sur lequel vous pensez pouvoir travailler pendant longtemps (vous le trouverez sans peine sur Internet). Pour pouvoir échanger avec vous par la suite, je vais moi aussi réaliser en direct cette expérience ! Je choisis d’instinct, sans réfléchir, « Chacun sa chimère » des Petits poèmes en prose de Baudelaire, une pièce que j’adore mais que je ne connais pas du tout par cœur. Maintenant, faites comme moi : apprenez votre texte pendant le temps que vous désirez ou pendant la période qui vous est nécessaire, puis récitez-le pour vous-même une heure après. Peu importe que votre restitution ne soit pas tout à fait exacte, qu’il manque des morceaux, que vous n’arriviez pas jusqu’à la fin… L’important est de se contraindre à suivre les exercices, en respectant chaque phase. Et dites-vous, pour vous consoler, que ce sera certainement mieux la prochaine fois ! Observez ensuite toutes les instructions que j’ai détaillées : dites à voix haute votre poème dès le lendemain, puis trois jours après, une semaine après, etc. Vous serez étonné par le résultat, seulement au bout d’un mois (un des grands principes de la mémoire, et l’on n’en parle jamais assez, est la répétition, qui fait des miracles).

Dans la démarche de mémorisation, on peut distinguer deux actions distinctes qui fonctionnent en alternance : l’encodage et la restitution des informations. Il s’agit, comme souvent en matière de mémoire et de mnémotechnie, de notions très anciennes. Les ouvrages du seizième siècle décrivent ces actions, mais sous les noms de « mouvement » et de « réminiscence » et Aristote (quatrième siècle avant notre ère) avait établi le distinguo « codage-récupération ».

L’encodage est le moment pendant lequel vous codez ce que vous voulez mémoriser. Il faut créer un lien, c’est-à-dire transformer ce dont vous voulez vous souvenir en image et le lier à un crochet. Cette phase est sans doute la plus importante car, si elle échoue, la seconde étape, la restitution, sera impossible. Le crochet joue le même rôle que le traditionnel nœud dans le mouchoir. Il n’existe que pour servir de point de départ, pour nous aider à nous souvenir.

Mais la différence, c’est que le nœud vous rappelle juste que vous devez penser à quelque chose, sans donner d’indication sur la nature du souvenir. Le crochet en mnémotechnie est une image fixe, immuable, évidente qui vous servira de guide, de fil rouge pour retrouver ce que vous avez enfoui dans votre mémoire.

La restitution ensuite est la phase dans laquelle vous allez rappeler à la conscience les choses encodées. Il s’agit de partir de votre crochet, cette image fixe que vous connaissez à coup sûr, afin de voir ce que vous y avez accroché. C’est un peu comme un fil d’Ariane que l’on suit jusqu’au cœur de sa mémoire. Mais une manière plus sûre de retrouver les informations, c’est d’avoir plusieurs fils, c’est-à-dire de multiplier les liens entre les informations. C’est là que, entre autres, les sens rentrent en action.

L’utilisation de nos sens est l’une des clés de notre mémoire. L’ensemble de nos goûts, de nos préférences est le produit d’une longue histoire sensorielle et notre corps tout entier est source de mémoire. Ainsi la madeleine de Proust rappelle à l’écrivain de nombreux souvenirs, il revit grâce à elle, spontanément, sans effort, une très grande partie de son passé (sens du goût et de l’odorat). Les enfants apprennent leurs tables de multiplication en chantonnant (sens de l’audition). Certains comédiens lient l’apprentissage d’un texte à leur gestuelle, au déplacement (sens kinesthésique), etc. Il faut donc constamment avoir cette idée en tête : plus on multiplie les signaux liés à nos différents sens, plus on encourage le passage des souvenirs dans la mémoire à long terme.


Voilà. C’est tout pour aujourd’hui. Excusez-moi d’avoir été si long. Mais, comme je suis passionné par le sujet, je me laisse parfois emporter par mon élan. La prochaine fois, je parlerai du rôle déterminant de l’image en mnémotechnie et je développerai un certain nombre de règles essentielles pour bien mémoriser.